Le trentième Festival International du Film d’Animation d’Annecy s’est tenu du 5 au 10 juin 2006, en présence d’invités prestigieux tels Tim Burton (producteur de l’Etrange Noël de Mr Jack, réalisateur des Noces Funèbres, …), Osvaldo Cavandoli (créateur de La Linea) ou encore Quino (auteur de la délicieuse Mafalda). Honneur était fait à l’Italie, à travers de nombreuses projections panoramas visant à faire (re)découvrir le dynamisme de nos voisins transalpins en matière de cinéma d’animation.
Plus de 270 films étaient en lice lors de cette édition d’une bonne tenue. Si l’on met de côté un système de réservation plus que perfectible pour les accrédités professionnels (ceux-ci devaient se connecter très régulièrement sur le site de la manifestation pour réserver leurs places avant de pouvoir les retirer au guichet adéquat… occasionnant des attentes répétées et parfois importantes), l’organisation était une fois de plus irréprochable. Le professionnalisme du festival annécien n’est plus à démontrer.
Où sont passés les Européens de l’Est ?
Une tendance générale pour commencer : au vu de cette cuvée 2006, l’animation mondiale tend à se concentrer autour de grands pôles (Europe de l’Ouest, Etats-Unis, Asie) au détriment de pays, autrefois plus largement représentés. On pense notamment aux productions d’Europe de l’Est, en net recul depuis plusieurs années, mais aussi aux réalisations africaines encore trop rares.
Question récurrente depuis près d’une décennie : qu’est-ce que l’essor de la 3D peut apporter au dessin animé ? En 2004, dans l’Officiel, Serge Bromberg (directeur artistique du festival) fustigeait la démultiplication de films aux formes et inspirations trop similaires et mettait en exergue le risque de lasser le public. Deux ans plus tard, force est de constater que le débat est plus que jamais d’actualité. La catégorie des Films de Fin d’Etude en est un parfait révélateur, de par la multitude de réalisations 3D proposées. Il semble en effet désormais indispensable aux étudiants en animation de disposer, sur leur carte de visite, d’un projet en 3D. Seules quelques écoles misent encore sur l’animation traditionnelle : La Poudrière en tête, avec un résultat bien souvent d’une grande tenue esthétique (à l’image de Nocturne, de Guillaume Delaunay). Même quand il s’agit du très bon Astronauts (prix du meilleur film de fin d’études), on peut légitimement se demander si la 3D était indispensable : ce qui distinguait ce film de ses concurrents, c’est son humour et sa mise en scène générale, pas véritablement son aspect technique.
L’un des dégâts collatéral de ce qu’il est tenu d’appeler “l’effet Pixar” est donc cette mode de la 3D. Pourtant, on oublie souvent que si l’entreprise de Steve Jobs (et les studios qui lui ont embrayé le pas, Dreamworks en tête) a réussi à démocratiser la 3D, c’est aussi – et surtout – grâce à un indéniable talent pour la scénarisation et la mise en scène… quand les réalisateurs 2D s’endormaient sur leurs lauriers. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si John Lasseter, devenu directeur de la branche animation de Disney, affirme à qui veut l’entendre qu’il compte bien redynamiser ce secteur, abandonné pour de mauvaises raisons.
L’hilarant court-métrage One-D de Michael Grimshaw (prix du jury junior) fait justement écho à cette problématique animation traditionnelle/animation 3D : il conte l’histoire de Bob et Diane, deux habitants d’un univers en une dimension qui vont au cinéma voir un film très “tendance”, en 2D.
Gageons donc qu’au fil des ans, le recours à la 3D se fasse avec plus de lucidité (discernement ?), pour de bonnes raisons (un apport artistique) plutôt que des mauvaises (suivre la mode, réduire les risques financiers).
Diversité des films de commandes
Les films de télévision ont vu triompher une très mignonne co-production espagnole et britannique, Pocoyo – “A little something between friends”. Le prix du vidéoclip a été décerné à Hyacinthe, réalisé par Sébastien Cosset et Joann Sfar, sur une chanson de Thomas Fersen (la sélection était de bon niveau, avec le fameux Feel Good de Gorillaz, deux clips poétiques d’Emiliana Torrini ou encore Les Petits Chiens d’Ignatus). Parmi les films publicitaires, c’est une réalisation engagée qui a été honorée : Human Ball, de Andreas Hasle, pour Médecins sans Frontières. Même engagement fort dans la catégorie des films éducatifs, scientifiques ou d’entreprise avec le couronnement de The Birds and The Bees – A secret you shouldn’t keep, sur le difficile thème des abus sexuels sur enfants.
Renaissance primé !
La sélection des longs métrages en compétition était, cette année, d’un redoutable classicisme : deux oeuvres françaises (le très gaulois Astérix et les Vikings et le plus osé Renaissance), deux japonaises (Origine et xxxHOLiC manasu no yo no yume, deux films de commande manquant malheureusement de relief) et une britannique (Wallace et Gromit – Le Mystère du Lapin Garou). Si le second long métrage du studio Aardman sort clairement du lot (grâce à son dynamisme, sa réalisation d’une redoutable efficacité ou encore ses multiples références au cinéma de genre), le jury lui a préféré Renaissance. Il faut avouer que Wallace et Gromit a déjà reçu l’Oscar du Meilleur Film d’Animation, est sorti en DVD dans de nombreux pays et a reçu un accueil digne de ce nom de la part du grand public ; ce n’est pas un prix de plus ou de moins qui changera véritablement la destinée d’Aardman. Le cas de Renaissance est différent : si le film a bénéficié, en France, d’une campagne publicitaire d’envergure, il n’a certainement pas encore touché l’ensemble de son coeur de cible. Ce prix devrait lui apporter en crédibilité et permettre aux producteurs et distributeurs d’envisager sereinement la prochaine sortie DVD ainsi que la vente du long métrage à l’international.
De nombreuses avant-premières
Pour découvrir des oeuvres résolument inédites, le public devait se tourner du côté des avants-premières. La plus impressionnante, en termes de moyens déployés, est sans nul doute celle de Monster House, réalisé par Gil Kenan (jeune réalisateur de 29 ans !), co-produit par Steven Spielberg et Robert Zemeckis : équipe de surveillance dépêchée de Paris pour l’occasion, passage au détecteur de métaux de chaque spectateur, surveillance de la salle pendant la projection à l’aide de lunettes infra-rouges afin de s’assurer qu’aucune image ne puisse s’échapper sur Internet. De telles mesures de protection contre le piratage sont-elles proportionnelles à la qualité intrinsèque du film ? Pas totalement : la réalisation est certes efficace, mais elle reprend avec trop d’insistance les clichés dans lesquels se complaît une frange du cinéma américain. Dans le genre, encore marginal, des films d’horreur à destination des jeunes spectateurs, Monster House (sortie en France le 23 août) devrait toucher sans peine son public. Les adultes, eux, resteront sur leur faim.
Trois films japonais étaient projetés en avant-première à Annecy avec, en toile de fond, la prise de conscience sociale et politique que peut provoquer le cinéma d’animation chez le spectateur : d’abord, Gen d’Hiroshima (adapté d’un manga de Keiji Nakazawa, l’un des premiers édités en France au début des années 80), puis Nagasaki 1945 The Angelus Bells et enfin Nausicaä, la Vallée du Vent (les spectateurs français devraient pouvoir découvrir ce film sur les salles obscures en août prochain, 22 ans après leurs homologues japonais !). Ces oeuvres mettent en évidence les ravages que l’être humain est capable d’infliger tant à la nature qu’à ses semblables. Elles tentent, à leur manière, d’adresser un message de vigilance et de paix aux jeunes générations.
Pour clore cette parenthèse dédiée aux avant-premières, signalons que le nouveau long-métrage de Michel Ocelot, Azur et Asmar, était lui aussi de la partie.
Des courts remplis d’émotions
Evoquons maintenant la catégorie la plus réjouissante, celle des courts-métrages. D’abord, une constatation : les différents programmes étaient très hétérogènes, ce qui a certainement nui à la partialité du prix du Public. Pour mieux comprendre les raisons d’une telle analyse, un bref rappel concernant le mode d’attribution de cette distinction s’impose : à la fin de chaque séance, le public est invité à voter pour le film qu’il a préféré ; c’est ensuite le film ayant recueilli le plus de suffrages qui emporte la mise. Les courts diffusés dans le cadre du programme 1 étaient très lourds (avec notamment la diffusion de Flesh, oeuvre choc d’Edouard Salier, qui voit des centaines d’avions s’écraser sur des gratte-ciels porteurs d’images pornographiques… symbole de la guerre dans laquelle notre monde semble s’enferrer). Dans cette programmation très noire, Dreams and Desires – Family Ties (de Joanna Quinn) faisait exception et apportait une bouffée d’humour. Sans remettre en cause la qualité évidente de cette oeuvre, les prix qu’elle a reçus (au nombre de trois !) sont certainement un peu trop nombreux en regard du reste de la sélection. On regrette ainsi que des titres tels que Printed Rainbow (par ailleurs primé dans le cadre de la Semaine de la Critique à Cannes 2006, de l’Indien Gitanjali Rao), Novecento : pianiste (de Sarah Van den Boom) ou encore Aldrig som första gangen! (de Jonas Andel, une magnifique illustration de ce que l’animation peut apporter au film documentaire, sachant que cette oeuvre met en images le témoignage de quatre personnes racontant leur première fois) n’aient bénéficié d’aucun coup de projecteur.
L’autre grand gagnant de la catégorie des courts, c’est (très logiquement) Histoire Tragique avec Fin Heureuse, de Regina Pessoa. Bénéficiant d’un nombre impressionnant de soutiens (Arte, Folimage, …), ce court narre avec beaucoup de sensibilité l’histoire d’une petite fille dont le coeur bat si vite et si fort qu’il perturbe le quotidien des personnes autour d’elles. Avec cette histoire inspirée de son propre vécu (sa mère est touchée par une maladie mentale), la réalisatrice a souhaité mettre en scène la différence. Déjà récompensé dans le cadre du concours international de projets lors d’Annecy 2001, Histoire Tragique avec Fin Heureuse reçoit cette fois le prix du meilleur court-métrage : un parcours décidément irréprochable de bout en bout.
Prochaine édition : du 4 au 9 juin 2007
Un compte-rendu du festival d’Annecy ne saurait être complet sans quelques mots pour les nombreuses manifestations autour du cinéma d’animation organisées pour l’occasion : projections en plein air sur écran géant (avec des têtes d’affiche telles que Mary Poppins, L’Âge de Glace 2 ou encore Kiki, la petite sorcière), expositions dédiées à Yoshitaka Amano, à La Linea, à Mafalda.
Comme à l’accoutumée, le Festival était par ailleurs jumelé au Marché International du Film d’Animation (MIFA) qui se tenait du 7 au 9 juin au Palace de l’Impérial. L’occasion pour les professionnels du secteur de vendre leurs projets auprès de maisons de production ou de chaînes de télévision. Un nombre conséquent de conférences et d’ateliers était organisé en parallèle.
Terminons en saluant l’ouverture, le 2 février dernier, de la Cité de l’Image en Mouvement (CITIA) dans la région annécienne. En 2006, CITIA propose une exposition de circonstance, sur “le cinéma d’animation à l’heure italienne“. Gageons que ce nouveau lieu de culture donnera lieu à de fructueux échanges entre auteurs et grand public.
Pour aller plus loin, d’autres compte-rendus du Festival International du Film d’Animation 2006 :
– Annecy 2006, vu par Morgan de Mangaverse
– Dossier du site AnimeLand.com
– Blog spécial dédié au festival
– Le MIFA vu par Yenaphe, scénariste
– Article publié par Libération
– Anim’Annecy