L’enseignement supérieur en France

J’entame avec ce billet une nouvelle rubrique : la “caverne à liens” aura pour objectif de rassembler des billets comportant, à chaque fois, beaucoup de liens et de ressources sur un thème donné. Aujourd’hui, c’est de l’enseignement supérieur français dont il sera question.

Récemment, je discutais avec des amis des problèmes liés à l’enseignement supérieur : sélection sociale qui ne dit pas non nom pour l’accès à certaines filières, importantes différences de moyens entre les formations, etc.
Nous ne disposions toutefois pas de ressources chiffrées sur ces thèmes. Grâce à Internet, il m’a suffit de quelques recherches pour en trouver.

D’abord quelques chiffres concernant la proportion d’enfants d’ouvriers intégrant les fameuses Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE)

Le milieu social d’origine des élèves conditionne largement leur orientation au sein du système éducatif. On trouve neuf fois plus d’élèves issus d’une famille de cadres dans les classes préparatoires ou les facultés de médecine que d’élèves issus d’une famille d’ouvriers.

Les enfants d’ouvriers sont ainsi nettement moins nombreux dans les filières générales et les filières sélectives : ils ont sept fois moins de chances que les enfants de cadres d’obtenir un baccalauréat scientifique ; 5 % des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles sont issus de familles d’ouvriers, contre 51 % d’enfants de cadres.

Source : Projet de loi de programmation pour la cohésion sociale daté du 20 octobre 2004

Ensuite, la question du montant qu’investit, chaque année, la collectivité nationale dans les différentes filières d’enseignement supérieur :

La dépense moyenne varie selon le type de formation :

  • 6 850 euros par étudiant universitaire (IUT et écoles d’ingénieurs non compris) ;
  • 9 100 euros par étudiant des IUT ;
  • 10 870 euros par élève de sections de techniciens supérieurs ;
  • 13 220 euros par élève de classes préparatoires aux grandes écoles,
  • 11 910 euros par élève des écoles d’ingénieurs universitaires.

Source : Les chiffres de la rentrée 2003 dans l’enseignement supérieur

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Sait-on qu’en France la dépense moyenne par étudiant d’université atteint seulement 6 820 euros alors que le Royaume-Uni y consacre 8 100. 30 % du budget de l’enseignement supérieur sont affectés aux grandes écoles, qui ne représentent que 3 % des étudiants !

Source : La société de la connaissance, une tribune de Jean-Marc Ayrault parue dans Libération le 14 février 2005

Nous pouvons aussi nous intéresser au budget que consacrent les grandes écoles à leurs étudiants. Il est toutefois bon de rappeler deux éléments importants :

  • Pour un certain nombre de ces écoles (notamment la majorité des écoles d’ingénieurs), les frais de scolarité sont sensiblement identiques à ceux pratiqués à l’université. Ce n’est donc pas directement sur ce levier que les écoles agissent afin de gonfler leur budget.
  • Par contre, les écoles se distinguent souvent des universités par le nombre de partenariats qu’elles entretiennent avec le monde industriel. Grâce à cette manne financière, elles peuvent offrir à leurs étudiants des conditions de travail d’une grande qualité.

L’enquête note ainsi que le budget moyen des écoles par étudiant est de 14 731 euros.

Source : L’Usine Nouvelle via Le Journal du Net

Dans cette dernière référence, on constate que c’est l’Ecole Polytechnique qui consacre le plus d’argent à ses étudiants. Un résultat qui n’est pas étonnant quand on sait que les élèves de Polytechniques sont rémunérés. Les différentes écoles des Mines disposent elles aussi un budget par étudiant impressionnant ; il faut rappeler que ces écoles ont la particularité de dépendre du Ministère de l’Industrie, et non, comme la majorité des autres écoles d’ingénieurs, du Ministère de l’Education Nationale et de la Recherche.

Quelques autres ressources susceptibles de nourrir la réflexion :

Pour finir, je citerai un article publié dans le quotidien québécois Le Devoir. Ce papier a l’originalité de présenter le point de vue d’un professeur québécois, Charles Le Blanc, et d’offrir donc une vision distanciée sur l’enseignement supérieur “à la française” :

Le système français est extrêmement élitiste et les meilleurs candidats ne se retrouvent pas à la « fac », mais dans les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, les Ecoles normales supérieures (ENS) et l’ENA. L’Université française ne saurait donc se comparer à l’Université québécoise qui ne pratique pas une telle ségrégation de l’excellence. En outre, l’admission à ces grandes écoles n’est raisonnablement possible que si l’on a fréquenté les bons lycées, Louis le Grand et Montaigne en tête, ce qui entretien une autre ségrégation, puisque les meilleurs lycées sont dans les quartiers les plus riches et que l’inscription à une institution ne peut se faire que si l’on réside dans le quartier – cela donne lieu du reste à toute une spéculation immobilière dans les cinquième et sixième arrondissements de Paris. Selon le sociologue Louis Chauvel, les grandes écoles accueillent 70% d’enfants de cadres et de professions libérales. On n’y trouve que 6% d’enfants d’ouvriers et 10% d’enfants d’employés. Ainsi, il semble que ce système gratuit que l’on vante tant, profite au premier chef à ceux qui auraient les moyens d’un système payant.

[…] De plus, le ratio étudiants/professeurs est près de la moitié dans les grandes écoles qu’à l’université. Résultat  ? 90% des élèves des grandes Écoles sortent diplômés, tandis que le taux de réussite dans les universités est de l’ordre de 30%.

Les grandes écoles préparent l’élite pour son rôle de direction, l’université, elle, à un avenir plus qu’incertain. Ce n’est donc pas un hasard si près de 40% des étudiants de premier cycle quittent les facultés sans aucun diplôme, ce qui est trois fois plus que dans tous les autres pays démocratiques.

10 thoughts on “L’enseignement supérieur en France

  1. Un sujet très délicat, effectivement. Un système qui se voulait démocratique (car quand on y regarde bien, le concours est finalement quelque chose de très démocratique) mais qui a été perverti par des ségrégations qui ne devraient pas avoir lieu. Car, si le système était vraiment démocratique, il n’y aurait pas besoin d’aller à Paris pour augmenter ses chances d’intégration. Et ce problème de centralisation à outrance favorisant les classes aisées ne concerne peut-être pas que la prépa (je pense notamment aux écarts de salaire Paris / province, par exemple).

    Cela dit, je suis très fier de faire partie des 10% de fils d’employés. 🙂

  2. Partenariat avec le privé : grande question à l’Université.
    Que je ne comprenais pas lorsqu’il s’agissait d’établir le budget du BdE.

    Avec un peu de recul, cependant, et en comparant avec “l’exemple américain”, je saisis mieux aujourd’hui l’idée qui guidait nos enseignants.

    Quelle indépendance dans les cours lorsque l’amphithéatre est refait avec les sous de la société X ou Y ?

  3. Pingback: Carnets d'Outre-Rhin

  4. Texte très intéressant, merci pour la biblio sur le sujet.

    Je vois que tu interviens bientôt à Édimbourg. J’y suis depuis janvier et j’en parle beaucoup dams mon blog, c’est une très belle ville, prends le temps d’aller boire un café au Royal Museum !

  5. Sujet effectivement intéressant, qui bat en brèche l’idée d’une école gratuite et accessible jouant bien son rôle d’ascenceur social. Cependant, une part de mauvaise foi apparait pour qui connaît le système de sélection inhérent aux grandes écoles. Dixit Charles Le Blanc :
    ” le ratio étudiants/professeurs est près de la moitié dans les grandes écoles qu’à l’université. Résultat ? 90% des élèves des grandes Écoles sortent diplômés, tandis que le taux de réussite dans les universités est de l’ordre de 30%.”
    Sachant que la sélection s’effectue dès le lycée – dossiers de candidature- puis principalement durant les classes prépa pour les grandes écoles, alors qu’elle a lieu, pour la filière universitaire, uniquement durant la phase universitaire proprement dite (le bac étant davantage une formalité qu’un “filtre”), la différence entre ces deux taux peut s’expliquer autrement que par le ratio etudiants/professeurs. Les chiffres parlent, bien sûr, mais on leur fait dire ce qu’on veut.

  6. il y a aussi l’INA qui dépend en fait du Ministère de l’Industrie ;p – oui, comme toutes les grandes écoles ne dépendent pas de l’EN, ça leur permet de diversifier leurs “revenus”, pareil pour les classes prépas qui dépendent des lycées dont des régions participent au budget ! contrairement à la fac… ça paraît bête, mais parfois il y a de l’argent au Conseil général de la Région et pas dans les caisses du Ministère de l’Education Nationale, ce qui accentue aussi peut-être les disparités pour la préparation en prépa même…

    C’est un problème vieux comme le monde ou presque, le fait que l’éducation ne fait pas ou si peu fonction d’ascenseur social… mais c’est aussi un mythe qu’elle le soit à elle seule… Historiquement, si tu examines les périodes où l’EN a effectivement servi cette fonction “à plein”, la dernière en date c’est en gros les années 1960-70, c’est parce que la société elle-même était dans une phase d’ouverture des échelles sociales, suite à l’ouverture de “niches” économiques et la tertiarisation de l’économie française… L’école n’a rien fait toute seule, elle est là pour donner juste la possibilité de l’ascenseur, autant que faire se peut… et ce n’est pas jamais assez, il est vrai ;p

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