Je vais finir par ouvrir une rubrique totalement dédiée aux rapports parfois houleux entre BD franco-belge et mangas. La parution des numéros de février de BoDoï (sur lequel je reviendrai prochainement) et de Suprême Dimension (le nouveau magazine BD de Soleil, né des cendres du guère regretté Bandes Dessinées Magazine) aurait en effet tendance à m’y inciter.
Didier Pasamonik tient une rubrique (judicieusement baptisée Pendant ce temps-là dans le microcosme) dans la dernière publication des éditions Soleil. Le sujet de cette première chronique – intitulée “Annus mangaphillis” – ne brille pas d’originalité puisqu’il s’agit d’analyser l’impact du manga sur le marché. D’autres s’y sont déjà collés, témoignant de plus ou moins d’ouverture envers la production nippone.
Didier Pasamonik se rit de la critique littéraire des grands médias. Daniel Schneidermann et Le Monde en tête. A ce sujet, j’ouvre une parenthèse : il faudra prévenir M. Pasamonik que Daniel Schneidermann a émigré à Libération en 2003. L’erreur est d’autant plus surprenante qu’elle ne figurait pas dans la mise en cause dont M. Schneidermann avait déjà fait l’objet dans un article pour ActuaBD. La faute à un correcteur trop zélé ?
Mais revenons-en au sujet qui nous occupe ici : selon Didier Panasonik, la critique n’aurait pas supporté d’être tenue au secret lors de la publication du 33e tome d’Astérix. Ce qui expliquerait la volée de bois vert qu’Albert Uderzo a ensuite du affronter.
Si le chroniqueur concède quelques faiblesses au Ciel lui tombe sur la tête (une trame “trop transparente pour vraiment convaincre“), il renouvelle ses louanges quant au message transmis par l’album :
“Mais la morale de l’histoire est pertinente. Elle est comme un message adressé aux créateurs européens : la seule potion magique qui vaille est de rester nous-mêmes, sans trop nous inquiéter de la vague des mangas qui nous submerge et qui finira bien un jour par refluer.“
En marge de cette analyse contestable, Didier Pasamonik a toutefois le mérite de rétablir certaines vérités : si les sorties mangas ont explosé en volume, la production de BD franco-belge et de comics a, elle aussi, considérablement augmenté :
“Contrairement à ce que prétendent les Pythies, non seulement les mangas sont le moteur de sa croissance, mais ils ont apportée de nouveaux lecteurs à la bande dessinée traditionnelle.“
La suite témoigne d’une connaissance pertinente des mécanismes ayant contribué au succès des mangas (diversité des thèmes abordés, rôle moteur des diffusions de séries animées, etc.), les mêmes que M. Pasamonik expose dans ce récent papier pour ActuaBD intitulé Le succès des mangas : Pourquoi il ne s’arrêtera pas.
La troisième et dernière partie de l’article revient, elle, sur l’incontournable Joann Sfar, propulsé homme de l’année 2005 de par le fourmillement de ses projets (albums classiques, BD indépendante, dessin animé, etc.). Didier Pasamonik dit de cette réussite :
“Richesse et la diversité de ses thèmes, abondance de la production, déclinaison en dessins animés, en roman et en livres pour enfants,… Joann Sfar est à lui tout seul un antidote aux mangas. Il applique à la lettre le conseil d’Uderzo : rester soi-même.“
Si les raisons présidant à ce succès me paraissent bien vues, je suis par contre plus que réservé quant à ce traditionalisme que semble prôner Didier Pasamonik. Si Joann Sfar s’attache effectivement à rester sincère dans chacun des projets dans lequel il s’investit, il est aussi un chaudron dans lequel se mêlent toute sorte d’influences. Là est sa grande force : c’est parce qu’il continue à faire ce qui lui plaît, tout en conservant une curiosité insatiable pour le monde qui l’entoure, que ses oeuvres s’imposent. La force qu’il reconnaît implicitement (dans les premières pages de Petit Vampire et le rêve de Tôkyô) à des titres tels que Nausicaä (de Hayao Miyazaki) ou Galaxy Express 999 (de Leiji Matsumoto) témoigne de cette ouverture d’esprit.
Contrairement à Didier Pasamonik, je crois fermement que c’est justement en persistant à se regarder le nombril que la BD franco-belge courra à sa perte.
Ce trait était déjà, à mon sens, l’une des raisons de la désaffection du jeune public. Si les mangas (et l’animation japonaise) se sont imposés, c’est parce qu’ils offrent des histoires que la franco-belge, engoncée dans ses standards (le fameux 48cc, des univers épurés, un rythme de publication lent), a longtemps été incapable de proposer. Et si la situation évolue, c’est parce que des auteurs nourris de multiples influences (BD européenne, américaine et japonaise) sont désormais en âge d’occuper le devant de la scène. Morvan qui reprend Spirou en est déjà un beau symbole. Et derrière, de nombreux jeunes auteurs se bousculent au portillon : de cette effervescence devraient naître des oeuvres originales qui dépassent les fameuses barrières culturelles entre pays. Cette démarche m’apparaît bien plus prometteuse que toute tentative de défense de son petit pré carré.