L’ivresse du pouvoir, de Claude Chabrol

Jeanne Charmant-Killman (appréciez le jeu de mots !) est une juge d’instruction inflexible sur ses principes. Elle s’est attaquée à un dossier particulièrement complexe de détournement de fonds publics mettant en cause le président d’un important groupe industriel. Une affaire qui va bien au-delà de la seule sphère industrielle et qui monte haut dans le politique. Voilà qui va faire grincer bien des dents. A mesure que la juge avance dans ses enquêtes, la médiatisation gagne en importance… mais aussi le poids de la hiérarchie. Malgré les obstacles, Jeanne avance tel un bulldozer. Quitte à laisser de côté sa vie personnelle. Parce que l’impunité ne doit pas régner en maître parmi les puissants qui se laissent tourner la tête par l’argent et la corruption. Mais qui, au final, en paiera le prix ?
Comme chacun sait, L’ivresse du pouvoir est très fortement inspiré de la fameuse Affaire Elf qui a défrayé la chronique dans les années 90 : Jeanne Charmant-Killman (Isabelle Huppert), c’est Eva Joly ; Humeau (François Berléand), le président du groupe, c’est Loïc Le Floch-Prigent ; Sibaud (Patrick Bruel), Philippe Jaffré ; le sénateur Descarts (Jacques Boudet), Charles Pasqua, …

L’ivresse du pouvoir vaut surtout en ce qu’il prend pied dans l’histoire sociale et politique récente de notre pays. Et par le portrait de la juge, qu’Isabelle Huppert incarne à la perfection. On ne peut pas en dire de même de tous les acteurs ; ainsi de Patrick Bruel qui n’arrive jamais à convaincre dans ce rôle de dirigeant d’entreprise.

Les dialogues ont fait l’objet d’un soin particulier, notamment ceux de Jeanne Charmant-Killman. C’est elle le vrai centre du film, celle autour de laquelle tous les autres gravitent. Chabrol a choisi de parler de l’une des plus grandes affaires de corruption en France en se focalisant sur la personne qui avait instruit le dossier. Il tente de rentrer dans les recoins de son intimité… et met en évidence la solitude dans laquelle la juge exerce son métier. A travers quelques scènes dispersées dans le film, il semble suggérer que le Cerbère bouge encore ; ce n’est pas en coupant une tête qu’on en viendra à bout. Et toutes les générations semblent touchées, à l’image de ce très jeune héritier dînant avec les alter-égos de Roland Dumas et autres Charles Pasqua, bien au courant des ficelles du système. Chabrol témoigne dans son film d’un cynisme qui pourra faire tiquer : car, à l’écouter, il semble qu’il n’y ait plus énormément de choses à sauver dans ce monde.

Autant le dire nettement : ce film n’est pas pour les personnes habituellement réfractaires au cinéma français. Il en porte tous les stigmates, à un point qui frôle l’overdose. Chabrol fait du Chabrol, et offre une mise en scène datée (merci pour le retour dans les années 80 !) ; dès les premières notes du générique d’ouverture, on sait qu’il ne faudra pas s’attendre à une réalisation surprenante. Certains passages sont, à ce propos, presque catastrophiques, à l’image d’une communication téléphonique entre Sibaud et la juge : l’échange est totalement téléphoné (c’est le cas de dire), il y a des blancs injustifiables dans le dialogue… Je me demande encore comment cette scène a pu passer l’épreuve du montage. Bref, pour s’écrier comme Télérama que L’ivresse du pouvoir est “jouissif en diable“, il vaut mieux : connaître quelques-unes des ficelles de l’affaire Elf, apprécier Isabelle Huppert et ne pas être allergique à la réalisation typique du cinéma français des années 80/90.

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