Des réseaux de régulation biologique à leurs propriétés dynamiques qualitatives : synthèse de l’exposé donné par Denis Thieffry à Nantes

Comme certains d’entre vous le savent, mes travaux de recherche portent notamment sur la bio-informatique, et plus spécifiquement la biologie des systèmes (c’est-à-dire le domaine scientifique consistant à intégrer des données biologiques de nature différente, notamment par des approches mathématiques et informatiques, pour une meilleure compréhension des systèmes). Ces termes sont souvent l’objet d’une mauvaise compréhension ou de fantasmes. Pour y remédier, j’essaierai de présenter, de temps en temps, des articles sur ce sujet. Aujourd’hui, je vous propose une synthèse de l’intervention de Denis Thieffry (Professeur des Universités à l’École Normale Supérieure) donnée ce jeudi 10 mai 2012 à Nantes.

Les enjeux d’une modélisation logique des mécanismes de régulation

Au niveau d’une cellule, les choix sont nombreux : prolifération, différentiation, mort, … Devant des mécanismes de régulation très complexes, la question centrale est de savoir comment les décisions sont prises. La modélisation dynamique doit permettre de comprendre fonctionnellement les réseaux, mais également de prédire le comportement des systèmes dans des situations nouvelles et d’aider à la conception de nouvelles expérimentations.

Denis Thieffry distingue trois familles différentes d’approches :

  • concevoir des cartes d’interactions (cf. les implémentation dans CellDesigner, Cytoscape) ;
  • construire des modèles quantitatifs (équations différentielles, équations stochastiques, etc.), mais il faut avoir un certain nombre d’informations sur les paramètres ;
  • développer des modèles logiques, dans un premier temps booléens, des réseaux de régulation cellulaire.

C’est cette dernière méthode qui est approfondie dans les travaux de Denis Thieffry.

Les premières recherches sur les réseaux booléens ont été menées par Stuart A. Kauffman (1969). En parallèle, le biologiste René Thomas a eu l’idée de formaliser le comportement du phage-lambda avec une approche booléenne (1973).

La modélisation logique des réseaux de régulation repose sur la combinaison d’un graphe de régulation (dans lequel les noeuds du graphe représentent les éléments de régulation, et les arcs traduisent les régulation) et de règles logiques spécifiant l’impact des régulateurs.
René Thomas (et ceux qui ont repris son approche en Europe) a envisagé le modèle sous une hypothèse asynchrone tandis qu’aux États-Unis, Stuart A. Kauffman autorisait les mises à jour synchrones. Entre ces approches, Denis Thieffry et son équipe ont introduit une vision mixte (Fauré et al. Bioinformatics, 2006). Il s’agit de définir deux classes de priorité :

  • des synthèses lentes qui sont synchrones entre elles ;
  • des dégradations rapides qui sont synchrones entre elles.

Un logiciel implémentant les résultats théoriques obtenus : GINsim

Pour manipuler informatiquement ces réseaux, Denis Thieffry et Claude Chaouiya développent le logiciel GINsim depuis une dizaine d’années. Les outils intégrés dans GINsim sont notamment :

  • l’identification des attracteurs ;
  • l’analyse des circuits de régulations ;
  • une réduction automatique des modèles ;
  • plus récemment, une compression des graphes de transitions.

Afin de faire du model-checking, des exports vers les réseaux de Petri discrets et colorés sont proposés. Mais des travaux sont également menés autour de la programmation par contraintes, afin d’identifier des informations manquantes (tels des seuils ou des règles logiques) dans des modèles.

Analyse des modèles

René Thomas a subodoré dès les années 70 (puis formalisé dans les années 80) le rôle des circuits dans les mécanismes de régulation, distinguant l’impact des circuits positifs (conduisant à un état stable) et négatifs (menant à des propriétés d’oscillations entretenues ou amorties). René Thomas a posé :

  • un circuit positif est nécessaire pour générer de multiples états stables ou attracteurs ;
  • un circuit négatif est nécessaire pour des mécanismes oscillatoires.
Depuis ces hypothèses ont fait l’objet de nombreux travaux mathématiques les démontrant.

Le problème général auquel on fait face réside dans l’explosion des graphes de transitions. De premiers défis consistent à se pencher sur la réduction du modèle, l’identification des attracteurs, la temporisation… et la compression des graphes de transitions. Une approche naïve consiste d’abord à opérer un regroupement par composantes fortement connexes. Mais le choix fait par Denis Thieffry et ses collaborateurs est d’avoir une représentation plus compacte, basée par un rapprochement des composantes qui ont un comportement asymptotique similaire. En raisonnant sur ce graphe compressé, on peut identifier des transitions caractéristiques pour faire des choix (par exemple entre deux attracteurs). Pour en savoir plus, consulter cette contribution de 2010 sur les “hierarchical state transition graphs“.
Cela dit, il faut avoir conscience que ce regroupement des états ayant un même comportement asymptotique aboutit à une sur-approximation de la dynamique.

Modélisation de la spécification de l’évolution de l’hématopoïèse (cellules du sang chez les mammifères)

De manière assez récente, Denis Thieffry travaille avec un laboratoire espagnol (le Center for Genomic Regulation de Barcelone mené par Thomas Graf) pour étudier le système biologique de différentiation de cellules du sang.

Sur ce système, on sait que :

  • dans le processus d’évolution de ces cellules, il y a un certain nombre de pertes de fonctions ;
  • quels sont les facteurs de transcription importants dans les différents types cellulaires ;
  • dans certains cas, l’ordre d’expression des facteurs de transcription est important car ne conduisant pas au même type de cellule (effet sur la différentiation de ces cellules) ;
  • il est possible de reprogrammer ces cellules : à partir d’un progéniteur, en forçant l’expression de tel ou tel facteur de transcription, on peut obtenir un autre type cellulaire.

Quelques enjeux au niveau de la modélisation et des question auxquelles le bio-informaticien souhaiterait pouvoir répondre :

  • Comment une cellule choisit tel ou tel chemin de différentiation ?
  • Comment peut-on changer ce chemin de différentiation ?
  • Est-ce que la reprogrammation cellulaire peut être plus efficace en forçant l’expression de tel ou tel facteur de transcription ?

La construction du modèle complet d’un tel système aboutit à un graphe beaucoup trop large pour sa compréhension immédiate. Heureusement, la compression du graphe de transitions conduit à un modèle beaucoup plus facile à analyser. Il a également été possible de mettre en évidence les différents circuits positifs en jeu. La méthodologie, ainsi que les résultats afférents, sont détaillés dans plusieurs documents disponibles sur Internet.

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