Compte-rendu de Japan Expo / Kultiverse 2008

Après le passage de L’Arc~en~Ciel au Zenith de Paris en mai qui a consacré l’avènement de la J-Pop/J-Rock en France, Japan Expo s’annonçait comme le deuxième temps fort de l’année en matière de culture japonaise. Le programme était des plus alléchants : plus de 50 invités japonais (parmi lesquels des pointures telles que Takeshi Obata, Go Nagai, Kazuo Koike, Setona Mizushiro, …), de nombreuses avant-premières (les nouvelles OAV de Cobra étaient ainsi de la partie !), plus d’une dizaine de concerts, … Force est de constater que le résultat fut à la hauteur des ambitions de la SEFA, l’équipe d’organisation de ce qu’il convient désormais d’appeler Kultiverse.

Kultiverse : une tentative pour fédérer les univers cultes

La SEFA a en effet décidé de profiter de la notoriété de Japan Expo pour lancer un label encore plus vaste et ambitieux : “Kultiverse, le salon des univers cultes” est sensé rassembler sous la même bannière quatre salons différents, Kultima (lancé en même temps que Chibi Japan Expo à l’automne dernier), Azikult, Kultigame et, bien entendu, Japan Expo. Azikult et Kultigame sont les petits nouveaux du quatuor, dédiés respectivement à la culture asiatique et aux jeux (notamment vidéo).

Certains ont reproché un manque de lisibilité de ces différentes structures au sein du festival. La critique est justifiée car chaque partie aurait gagné à disposer d’une identité visuelle propre au sein même du festival (à travers des couleurs dédiés sur le plan ?). S’il n’était pas trop difficile de comprendre comment s’articulaient Japan Expo, Kultima, Azikult et Kultigame lorsqu’on passait au moins deux jours dans le salon, la chose était moins évidente pour ceux qui n’étaient que “de passage”. Le nombre de compte-rendus faisant simplement état de “Japan Expo” et non de la globalité des trois salons qui y était accolés est là pour en attester. Si la stratégie de développement de la SEFA est compréhensible (profiter de la notoriété de Japan Expo pour propulser sur le devant de la scène des festivals “dérivés”, un peu à la manière des spin-off chers aux séries américaines), elle n’en génère pas moins un certain flou pour le visiteur lambda. Ce sera là ma principale et seule véritable critique quant à l’organisation de la manifestation.

Des avancées notables en termes d’organisation

Car, pour le reste, force est de reconnaître que la SEFA a su tirer la leçon de ses erreurs passées. L’attente pour entrer dans Japan Expo était, jusqu’à maintenant, redoutée même lorsqu’on avait une pré-vente ? Tout ceci est désormais terminé. La queue est fluide (pour peu, bien entendu, qu’on n’arrive pas avant l’ouverture du salon – cela semble couler de source) et très bien gérée. Impossible d’assister au cosplay sans faire des heures et des heures de queue ? Là encore, cette époque est révolue : le salon organise le concours dans un hall pouvant accueillir plusieurs milliers de personnes, avec trois écrans géants permettant même aux plus éloignés de suivre ce qui se passe sur scène. Un certain nombre d’esprits chagrins se bornent chaque année à déplorer le côté commercial de l’événement ? Qu’à cela ne tienne, le salon propose de plus en plus d’activités culturelles, à commencer par la découverte de chanteurs et groupes japonais, allant de jeunes artistes qui percent progressivement (AciD FLavoR) à des groupes plus confirmés (Miyavi), du hard rock (Machine) à la pop (Scandal). Une fois entré dans le salon, le visiteur pouvait ainsi assister chaque jour à trois concerts différents. Une initiative qu’il est bon de saluer et d’encourager vivement tant la démarche est remarquable. Nous n’avons pu assister à l’ensemble de ces prestations, mais les concerts de Betta Flash et de AciD FLavoR nous ont enthousiasmé !

Les stands professionnels sont, d’année en année, plus impressionnants. Kana a, comme à l’accoutumée, fait forte impression avec un Naruto géant qui semblait protéger le salon de sa bienveillance. Nintendo n’était pas en reste avec une équipe de Pokemon dépêchée spécialement pour l’occasion. Sans parler de la 2e convention Ankama qui étonne toujours autant par son insolente réussite : l’entreprise lilloise, à l’origine du jeu vidéo en ligne Dofus, est une des plus belles success story françaises de ces dernières années. L’équipe d’Ankama était présente en force pour promouvoir leurs jeux (notamment Wakfu, dont le dessin animé éponyme sera diffusé à la rentrée sur France 3), leurs bandes dessinées et, plus généralement, une certaine manière de soutenir le dynamisme créatif à la française.

Les Japonais en force au festival !

Du côté japonais, le nombre croissant de stands en provenance directe du Pays du Soleil Levant se confirme. Et il ne s’agit pas seulement de commerçants venus vendre leurs produits en exclusivité.

Car la maison d’édition Shueisha a frappé un grand coup avec un très bel espace consacré aux 40 ans du magazines de pré-publication Weekly Shônen Jump. Les plus grandes séries de Jump étaient mises à l’honneur, avec une exposition de reprographies (de grande qualité) de planches originales de Death Note, Bleach, Naruto, Dragon Ball… L’éditeur japonais en profitait également pour sonder le public quant à son intérêt pour la lecture de mangas sur téléphone portable. Une dizaine de portables Domoco était disponible en libre accès pour découvrir les transpositions numériques (et en couleurs) des titres sus-cités. Comme ci cela ne suffisait pas, Japan Expo fut l’occasion, pour Jump, de lancer son portail Internet exclusif destiné au public européen : Jumpland. Ce dernier permet de lire en ligne, en toute légalité, les premiers chapitres de plusieurs oeuvres cultes (pour l’instant gratuitement)… Le premier pas vers, à long terme, une mise en ligne directe par l’éditeur japonais des mangas qu’il publie ? Cet intérêt des Japonais pour le marché mondial n’est guère étonnant tant le manga est devenu un incontournable de la culture mondiale. Jumpland propose également un blog permettant de suivre les différents événements consacrés à Jump à travers le monde. C’est ainsi l’occasion de découvrir une partie des coulisses et d’apprendre, par exemple, que Takeshi Obata a pu goûter aux vertus de la raclette au coeur de l’espace V.I.P. de Japan Expo.

La venue d’un certain nombre d’auteurs majeurs a contribué au prestige de la neuvième édition de Japan Expo. Si les plus grands étaient (logiquement) difficilement accessibles en termes de dédicaces, tous pouvaient être plus aisément approchés lors de conférences ouvertes au public. La forme de ces interventions était fonction des souhaits de l’auteur et de son éditeur (son tantô), de sorte qu’aucune intervention ne se ressemblait. La discussion avec Takeshi Obata (dessinateur de Death Note et Hikaru No Go) fut articulée autour de questions/réponses visiblement convenues en amont avec le mangaka, ne laissant ainsi aucune place aux éventuelles questions du public. A contrario, la rencontre avec Yoshiyuki Sadamoto (chara-designer d’Evangelion et du long-métrage La Traversée du Temps) donna l’impression d’assister à une conférence de presse (où chacun peut interroger directement l’auteur), la cohérence globale des questions en moins. L’interactivité n’est donc pas toujours l’idéal pour donner naissance à un débat réellement enrichissant. Le public est ressorti globalement plus satisfait de la conférence de M. Obata que de celle de M. Sadamoto, la première étant bien mieux huilée (questions pertinentes posées à l’auteur et à son tantô, deux dessins réalisés en direct par l’auteur) que la deuxième. Le reste des rencontres était ainsi à l’avenant, dépendant beaucoup de la personnalité des personnes mises à l’honneur.

Des amateurs de plus en plus professionnels

En face de cette débauche de moyens, les amateurs n’étaient pas en reste pour faire vivre le salon. Les fanzines mettaient en avant de bien belles choses, avec des ouvrages toujours plus soignés et sophistiqués. Le passage à un statut professionnel d’un certain nombre d’auteurs se confirme d’année en année. C’est ainsi que les sœurs Ung dédicaçaient leur premier album paru chez Soleil (le très coloré Lolita Jungle) ou que Virak et Marie Tho étaient présentes sur le stand Shogun (pour des mangas – respectivement Le Ciel d’Eden et Pity – à paraître en fin d’année/début d’année prochaine). En attendant l’an prochain où nous espérons voir notre chère Rosalys invitée pour dédicacer Fly For Fun aux éditions Foolstrip.

Comment ne pas évoquer également l’incroyable dynamisme de la S.O.S. Brigade, stand sur lequel les fans de La Mélancolie de Haruhi Suzumiya assuraient la promotion de leur œuvre fétiche ? On ne compte plus le nombre de Hare hare yukai (la danse correspondant au générique de fin de cette série) qui, tels des happenings festifs, se sont tenus aux quatre coins de la manifestation du jeudi au dimanche. L’enthousiasme de ces jeunes faisait plaisir à voir. Il illustrait également le perpétuel renouvellement des générations qu’opère la communauté des amateurs d’animation japonaise (la moyenne d’âge de la vingtaine de personnes qui constituaient la S.O.S. Brigade étant d’environ 19-20 ans).

Cosplay prism power, make up!

Enfin les grands classiques que sont le karaoke et le concours de cosplay étaient bien entendu au rendez-vous. Le cosplay a, comme à l’accoutumée, remporté un vif succès, avec des costumes de toute beauté. Poursuivons justement sur des considérations vestimentaires en évoquant une évolution notable dans les allées de Japan Expo au fil des années : de plus en plus de personnes viennent au salon habillées selon la mode japonaise ou, de manière plus surprenante, déguisées tels des héros de dessins animés. L’apparition de boutiques vendant (de manière pas toujours très légale) des costumes tirés des principales séries à la mode, tout comme l’essor des offres de cosplay faits main sur Internet (notamment eBay), permettent ainsi à chacun de se prendre pour ses personnages préférés et ce, même si on ne dispose pas de talents de couturier. Les spécialistes des concours de cosplay regretteront peut-être cette tendance. Il n’en reste pas moins que cela donne de la couleur au festival et contribue ainsi à l’immersion du visiteur dans la culture visuelle japonaise. La SEFA avait d’ailleurs pris conscience, en amont, de ce phénomène puisque que le festival comportait une scène 100% Cosplay permettant à chacun de “se montrer, même sans prendre part aux compétitions.

Rassembler différentes communautés sous un même étendard

Sans surprise, la culture asiatique constituait clairement le fer de lance de cette première édition de Kultiverse. Si les jeux vidéos n’étaient pas en reste (avec de gros stands dédiés à Nintendo, Namco-Bandai, etc.), les animations de la section Kultima paraissaient beaucoup moins enjouées. Les activités y semblaient plus statiques. Les grands auteurs venus dédicacer pour l’occasion (entre autres Moebius) ne donnaient pas tous de conférence, retombant ainsi dans les travers classiques des festivals de BD franco-belge, quand seule la dédicace compte…. Difficile de faire bouger les lignes de séparation entre des univers complémentaires mais que certains se sont longtemps échinés à opposer.

Nous tenons donc, pour conclure, à inciter la SEFA à poursuivre ce rapprochement entre les différents univers cultes, à prévoir – pour l’avenir – des activités mêlant les différents mondes (à commencer par des conférences communes, même si la logistique est évidemment plus lourde quand des auteurs étrangers sont invités à intervenir en même temps que des Français). Les rencontres qui en émergeront aboutiront sans aucun doute à de beaux métissages trans-culturels. Rendez-vous est pris, en tout cas, pour l’été prochain afin de découvrir la deuxième édition de Kultiverse. D’ici là, les plus impatients pourront se retrouver au salon Chibi Japan Expo, du 31 octobre au 2 novembre à Paris-Est Montreuil.

Pour aller plus loin

6 thoughts on “Compte-rendu de Japan Expo / Kultiverse 2008

  1. Intéressante review Morgan, bravo à toi 🙂 Très complet et bien rédigé, comme d’hab.

    Néanmoins, je mettrais un petit bémol sur l’aspect “culturel” de la JE. Tu notes bien que pas mal de gens trouvent ça trop commercial, mais à part les concerts de musique japonaise, les autres activités étaient bien trop maîgres cmoparés à d’autres petites conventions à Paris ou ailleurs. D’après des visiteurs japonais sur place, ils trouvaient que le nom de “Japan” de la Japan Expo ne voulait absolument rien dire et que l’aspect culturel du festival (dans le sens, découverte du pays, de ses us et coutumes, de son histoire) était proche de zéro.

    Après c’est sûr si on se limite à la musique japonaise, on peut affimer que cette JE avait sa part de culture, sans hésiter.

  2. Merci pour le compliment, cela fait plaisir 🙂

    Concernant les objectifs culturels de J.E., les propos que tu tiens rejoignent ceux d’Ilan Nguyen sur ActuaBD. Je cite : “On propose une vision chimérique de l’objet de cette manifestation : le Japon. Cela ressemble à de l’escroquerie intellectuelle. […] C’est un Japon complètement fantasmé et éloigné de la réalité de ce pays. Les gens viennent chercher ici une évasion qui correspond à une chimère. À partir du moment où c’est assumé, il n’y a pas de problème. Mais je ne suis pas sûr que ce le soit vraiment.[…]”
    Je pense qu’une bonne partie du public est conscient d’évoluer dans une sorte d’utopie (jouissive), de Japon fantasmé et non conforme à la réalité du pays : d’ailleurs, comment un salon pourrait-il rendre précisément compte de la richesse d’une culture aussi vaste ? En outre, la SEFA a clairement marqué sa volonté de présenter le festival sous un autre nom, à savoir Kultiverse. Reste à voir si cette modification sera pérenne, mais elle me paraît être conforme à ce que devient le festival, et représenter ainsi une annonce plus en conformité avec le contenu même de l’événement.

    En outre, ce qui me paraît trop souvent occulté par les compte-rendus lus ici et là, c’est par exemple la présence d’une salle de conférence dédiée (sachant qu’il y avait en tout deux salles de conférences, cela fait quand même 50% de conférences sur le thème) à des présentations autour d’aspects plus culturels. Je cite quelques titres de conférences : “Préparer son voyage au Japon”, “Le Go, règles de jeu et de vie” ou encore les interventions riches en anecdotes de Claude Yoshizawa, “150 ans des relations France-Japon”. Le festival consacrait ainsi une place (qui ne servait pas seulement de caution culturelle, mais qui me semblait répondre à un vrai souhait des organisateurs) à un Japon plus proche de la réalité. Et le public a répondu généralement présent.

    Nous verrons comment tout cela va évoluer lors des prochaines éditions.

  3. Pour la musique, tu oublies Halcali !

    Je ne suis pas allé à la Japan Expo cette année, mais l’an dernier c’est vrai que le côté culturel “classique” était franchement étouffé ; les quelques stands qui rentraient dans cette case (j’exclus donc tout ce qui est anime, manga ou jeux vidéos) étaient bien petits comparés aux énormes étals de dvd de candy et autres dragon ball Z. 😉

    Petite remarque enfin : magnifique, la photo Shônen Jump ! 🙂

  4. aaaaah !! aurais-tu par hasard un compte rendu sur la conférence donnée sur le jeu de go, ou n’as-tu pas pu y assister ???? 😀

Leave a Reply

Fill in your details below or click an icon to log in:

WordPress.com Logo

You are commenting using your WordPress.com account. Log Out /  Change )

Twitter picture

You are commenting using your Twitter account. Log Out /  Change )

Facebook photo

You are commenting using your Facebook account. Log Out /  Change )

Connecting to %s