Osamu Tezuka, le Dieu du manga

J’ai donné, avant-hier soir, une conférence sur le manga à destination d’un public adolescent et plutôt adulte autour de deux auteurs singuliers : Osamu Tezuka et Jirô Taniguchi. C’est sur le premier, surnommé le Dieu du manga, que je vais m’arrêter aujourd’hui, tant son influence sur la bande-dessinée – japonaise dans un premier temps, puis mondiale – fut importante.

Osamu Tezuka, né en 1928, apporte une contribution inspirée et novatrice au manga dès 1947. C’est à cette date qu’il publie La Nouvelle Île au Trésor (Shin Takarajima), d’après une histoire de Shichima Sakai, alors qu’il est encore étudiant (il obtiendra même, quelques années plus tard, son diplôme de docteur en médecine !). Ce livre est marqué, pour l’époque, par un incroyable sens du mouvement et du découpage.

C’est que le jeune Tezuka est fortement influencé par les nombreuses oeuvres cinématographiques que son père (lui-même réalisateur amateur) lui a fait découvrir dans son enfance. De fait, Osamu Tezuka n’aura de cesse, tout au long de sa carrière, de lorgner vers l’image en mouvement. Seulement, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un contexte économique difficile, le marché du dessin animé est plus que réduit au Pays du Soleil Levant. Il est donc plus naturel de se diriger dans un premier temps vers la bande-dessinée pour en venir, plus tard, à l’animation.

Voilà donc le chemin que décide de suivre Tezuka. Il commence par révolutionner la BD. La première mouture de son adaptation de La Nouvelle Île au Trésor fait 250 pages ! Bien trop long, le récit est compressé en 60 pages… ce qui n’empêche pas son succès : 400 000 exemplaires vendus ! Dès lors, les contraintes en termes de pagination se font moins pressantes sur l’auteur.

En 1949, inspiré par le titre et une photo du film de Fritz Lang, il donne naissance à une oeuvre de science-fiction (en 150 pages) baptisée Metropolis (adapté en animation en 2001). Le public suit. Les mangas se multiplient, dans tous les genres, en traitant tous les thèmes possibles. 1950 et 1952 voient la naissance de deux héros qui débarqueront en France dans les années 70 : Le Roi Léo (Jungle Taitei) et Astro le petit robot (Tetsuwan Atom). Tezuka poursuit ses travaux en créant des histoires profondément humanistes. Il dira : “Ce que j’ai essayé d’exprimer dans mes oeuvres peut se résumer dans le message suivant : Aimez toutes les créatures ! Aimez tous les êtres vivants !” (propos rapportés par Paul Gravett dans son excellent ouvrage Manga – Soixante ans de bande dessinée japonaise). Il interroge ses lecteurs sur les relations des hommes entre eux, sur l’évolution de la technologie ou encore sur la société d’après-guerre. Osamu Tezuka – comme tous les grands noms de la littérature – atteint une universalité susceptible de résonner avec les préoccupations de chacun, qu’il soit japonais, américain ou européen, né en 1920, 1960 ou 1980.

Fort de cette réussite, Tezuka se lance dans l’aventure dont il a toujours rêvé : le cinéma. Il investit l’argent qu’il a gagné grâce à ses mangas dans le studio d’animation qu’il fonde en 1961 : Mushi Productions. En sortent notamment des dessins animés de Tetsuwan Atom en 1963 (en noir et blanc) et de Jungle Taitei en 1965 (en couleurs). Ce coup d’essai marque le début de la relation privilégiée entre BD et animation au Japon, les best-sellers de papier bénéficiant d’une adaptation à l’écran. C’est un moment charnière car Tezuka et son studio remettent au goût du jour l’animation limitée : pour produire chaque semaine des épisodes avec des budgets restreints, il est nécessaire de recourir à des astuces de réalisation. C’est ainsi que chaque image passe, en moyenne, au moins 3 fois à la prise de vue, ce qui conduit à une animation “au tiers” (alors que la coutume veut qu’une image passe deux fois de suite à la prise de vue, soit 12 images par seconde). Des séquences entières d’animation sont réutilisées afin de minimiser le nombre de dessins à mettre en place. Ces techniques marquent durablement la création japonaise. Les procédures déployées au sein de Mushi Productions constituent ainsi les prémices du marché de masse que les Japonais mettront en place autour de l’animation.

En marge de ses activités pour la bande-dessinée et la télévision, Osamu Tezuka tient à conserver un espace d’expression plus expérimental. C’est dans ce contexte qu’il créé plusieurs courts-métrages salués par la critique mais sans retentissement commercial. Si son incursion dans le monde de l’animation connaît un certain écho, elle n’en est pas moins un gouffre financier. C’est pourquoi Tezuka n’abandonnera jamais le manga. La légende veut qu’il ait continué à dessiner des planches jusque sur son lit d’hôpital.

Au-delà de ses séries les plus connues, il signe bon nombre de petits chefs d’oeuvre qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir : L’Histoire des 3 Adolf, Ayako ou encore Phénix, l’Oiseau de Feu. À la fin de sa vie (en 1989), Osamu Tezuka laisse derrière lui 150 000 pages de bande-dessinée, 17 longs-métrages et plusieurs séries animées. Sa carrière laisse une empreinte impérissable dans le paysage mondial de la création dessinée.

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